Anne BRUNSWIC

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Toundra, pétrole et permafrost

Des trois grands fleuves sibériens, le plus occidental est l’Ob qui, par moments coule presque au pied de l’Oural. L’été, des bateaux de ligne régulière empruntent l’Ob et son grand affluent l’Irtysh. Il suffit de prendre le transsibérien jusqu’à Omsk ou Tobolsk et de se laisser glisser vers le cercle polaire à la vitesse de 22 kms/heure. J’arrive à l’embarcadère de Tobolsk le 21 juillet. Par chance, le beau temps est au rendez-vous et, plus le bateau avance vers le nord, plus les nuits sont lumineuses. Après une longue descente à travers la taïga sauvage, on arrive au pays du pétrole et du gaz. Mais à côté des villes champignons nées du boom des hydrocarbures subsistent de pauvres villages de pêcheurs peuplés de Russes et d’indigènes khantys ou nenets. Quel avenir pour eux ? quel avenir pour les langes et cultures indigènes ? Tous s’interrogent devant cette Sibérie qu’ils ne reconnaissent plus.

A lire : Vassili Golovanov, Éloge des voyages insensés, éd. Verdier, France, 2008,

Lundi : Tobolsk, la citadelle sur l’Irtysh

Tobolsk

Dimanche midi, les cloches sonnent à la cathédrale orthodoxe de Tobolsk (latitude 58°11’). De l’ancienne citadelle, symbole de la conquête de la Sibérie, on domine les larges méandres de l’Irtysh, rivière qui prend sa source dans l’Altaï et court sur plus de 4000 kilomètres avant de se jeter dans l’Ob. Le lendemain matin, j’embarque sur le Tchernichevsky dans une cabine de première classe. Rencontre avec le capitaine Nikolaï qui assure la ligne depuis vingt ans. Un passager passionné de pêche en rivière livre quelques secrets.

Mardi : Au pays du poisson et du pétrole

De Khanty-Mansiisk à Salekhard
Thé sous la tchoum

Après Khanty-Mansiisk (latitude 61°), lorsque l’Irtysh rejoint l’Ob, la végétation devient rare et le paysage du fleuve s’ouvre à perte de vue. Un couple d’octogénéraires, Alexandre et sa femme Héléna me servent de guides. Ancien capitaine sur le Tchernichevsky, retraité depuis vingt ans, Alexandre est curieux de voir comment la région a changé depuis la chute de l’URSS et l’arrivée des grandes sociétés pétrolières.

Mercredi : Pêcheurs d’eau douce

Novy Port, chez les pêcheurs
Estuaire de l’Ob, le Mekhanik Kalachnikov

A Salekhard (latitude 66°35) capitale administrative de la région Yamalo-Nenets, il faut embarquer sur un nouveau bateau, le Mécanicien Kalachnikov, afin de poursuivre le voyage au nord du cercle polaire, par l’immense estuaire de l’Ob. Première escale à Novy Port (latitude 67°44) où l’on m’invite à descendre dans les réserves souterraines de la coopérative de pêche, neuf cent mètres de galeries naturellement réfrigérées creusées sous le permafrost (ou pergélisol). Situé à 400 kms au nord du cercle polaire, ce petit port vit exclusivement des ressources du fleuve, peut-être le plus poissonneux de la planète.

Jeudi : La révolte gronde contre l’empire du gaz

De l’Ob au Taz
Nadym, pêcheur nenets

Le Mécanicien Kalachnikov quitte bientôt l’estuaire de l’Ob pour s’engager dans la baie du Taz. C’est là que se trouvent les plus grandes réserves de gaz de la fédération russe. Mais les pêcheurs souffrent de la disparition lente des poissons et les éleveurs partent toujours plus au nord pour faire paître leurs grands troupeaux de rennes. A bord du bateau, Alexeï, un anthropologue en mission, me raconte la longue histoire des révoltes nenets contre le pouvoir russe et soviétique. Au petit matin, le Mécanicien Kalachnikov arrive à son terminus nord, Antipaiuta, un village nenets qui vit toujours de l’élevage des rennes.

Vendredi : Au pays des rennes, des tchoums et des hélicoptères

Antipaiuta
Antipaiuta, tchoum d’été

Accessible par bateau seulement deux mois par an, Antipaiuta (latitude 69°07’) est relié au reste du monde par hélicoptère. Le village est bâti sur pilotis au-dessus d’un marécage. L’été, les Nenets préfèrent habiter sous les tentes en peaux de renne (les tchoums) plantées un peu plus loin au bord de la rivière. Sergueï, le chef de la station météo, évoque les rudes conditions climatiques et les inquiétudes d’une région peu à peu bouleversée par l’arrivée du gaz. Après une nuit passée à l’internat scolaire où la gardienne interprète pour moi de bouleversants chants nenets, je m’envole en hélicoptère. Vue d’en haut, la toundra s’avère d’une beauté encore plus
stupéfiante.

Pour voir d’autres photos prises par mes compagnons de voyage Philippe Ségéral et François Malbreil