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> Cinq cartes postales de l’été 2015

> Rencontres avec des Iraniennes remarquables

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De Chiraz à Ispahan, en passant par Persépolis et Yazd
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Mercredi, c’était jour férié pour célébrer la naissance de l’Imam Mahdi et dès mardi soir, les rues de Yazd étaient à la fête. Les commerçants offraient aux passants des gâteaux secs et des verres de sirop, les enfants se bousculaient pour gagner des cadeaux. "L’anniversaire de la naissance de l’Imam caché, c’est une fête joyeuse, tout le monde est heureux" m’a expliqué Ismaïli, un réparateur d’ordinateurs auquel j’ai eu recours pour une raison que je raconterai un peu plus loin.

Mercredi, les avenues étaient vides et presque respirables malgré les 39°C à l’ombre et le vent du désert qui vient s’ajouter en permanence à l’épais nuage de pollution.
Jeudi, autre jour férié, mais sans réjouissances. On commémore sobrement l’anniversaire de la mort de l’imam Khomeini, le guide, le père de la révolution islamique dont la principale artère de chaque ville porte le nom et dont l’image, en général associée à celle de Khamenei orne des centaines de monuments, d’édifices publics, de devantures de boutiques, de stations d’essence et de portes de frigos.
J’ai quitté Yazd ce matin, toujours en état de couvre-feu, comme un dimanche anglais.
Je viens d’arriver après 4 heures d’autocar à Ispahan et l’ambiance est au week-end prolongé puisque demain c’est vendredi comme tous les vendredis.

L’après-midi, en pleine chaleur, les avenues sont encore désertes. A la tombée de la nuit, les voitures et les motocyclettes reviennent en force quand tout le monde se précipite dans les parcs pour pique-niquer ou sur les bords de la rivière pour se balader, se prendre en photo, manger une glace, boire un milk-shake carotte-melon ou carotte-banane, ou mieux carotte + boule de glace à la vanille.

Pour visiter la plus belle mosquée d’Iran (et peut-être du monde), Mosquée naguère Royale, aujourd’hui Mosquée de l’Imam, il faudra patienter jusqu’à samedi matin. D’ici là, seuls ceux qui viennent prier y sont admis. Cela me laisse le loisir d’écrire. D’autant que ma chambre d’Ispahan, même si elle est beaucoup plus quelconque que celle de Yazd, est nettement plus confortable.

Vendredi matin, suite. Température extérieure à Ispahan 20°C. Cette fraîcheur qui vient de la rivière qui elle-même coule de la montagne voisine, je n’en reviens pas. Une bénédiction pour causer comme les dévots d’ici.

Je reviens quelques jours en arrière, à Chiraz (qu’on écrit aussi à l’anglaise Shiraz). Dimanche matin, je suis allée visiter Persépolis puis les sites antiques tout proches. Cette visite, je l’ai dédiée à mon oncle Étienne qui m’a donné ma première leçon sur les antiquités orientales à l’âge de 10 ans, jugeant que, puisque je venais d’entrer en 6e, il était temps que je découvre l’écriture cunéiforme. A sa mort, j’ai trouvé dans sa cave ses cahiers de cours pour son certificat de licence à la Sorbonne avec des pages entières de hiéroglyphes et de cunéiforme. Je n’ai pas retenu grand chose des leçons du cher tonton sauf que le plus petit enfant entre au monde précédé d’une expérience humaine multi-millénaire qu’il n’a pas le droit d’ignorer, surtout lorsque le hasard l’a fait naître au sein d’une famille de lettrés, juifs et allemands de surcroît.

Mon oncle m’a aussi appris de bonne heure et par son exemple qu’une vie entière ne saurait suffire à étancher la soif de connaître le monde. Sa sagesse m’a servi de guide dans les ruines de Persépolis où je me suis engagée seule dimanche à 8 heures du matin.

On croise beaucoup de touristes allemands par ici et je me demande si les Allemands – mus par leur passion pour la race aryenne dont les Iraniens seraient paraît-il issus – n’ont pas davantage pillé les trésors archéologiques de l’Iran que les Anglais ou les Français. Quand on visite, on ne peut s’empêcher de penser qu’on ne voit que des restes : ce que les Européens des XIXe et XXe siècles ont bien voulu laisser, ce qui était décidément trop difficile à transporter. Il faut dire qu’ils avaient été précédés par bien d’autres pillards. Il fallut, ai-je appris au cours de la visite, près de 3000 chameaux à Alexandre le Grand pour charger le trésor, après quoi il fit méthodiquement incendier tous ses édifices. On est toujours le barbare de quelqu’un.
Les restes de cette capitale sont néanmoins très impressionnants, dressés ou plutôt couchés au milieu d’un plateau désertique, adossés à une montagne où sont enchâssées des tombes impériales depuis 2 500 ans .

Ce qui me touche, c’est aussi l’attachement des Iraniens à ce passé ante-islamique. Lorsque je suis arrivée sur le parking à 7h30 du matin, j’ai vu beaucoup de visiteurs venus de tout le pays qui avaient dormi sur place, à même le sol, juste enveloppés d’une couverture ou d’un tchador, pour être là dès l’ouverture. Parmi les visiteurs matinaux du site, les Iraniens sont en majorité, fiers de ce passé antique qui sert encore aujourd’hui de fondement à leur sentiment national.

Ce que j’écris ici, je le tire entre autres d’une conversation avec Farad, le chauffeur de taxi qui m’a emmenée ici. Farad, 37 ans, est principalement professeur d’arabe dans une école coranique mais en ce moment, il profite des vacances d’été et travaille, avec sa vieille bagnole quasiment au bout du rouleau à méliorer l’ordinaire de sa famille - une épouse au foyer, deux enfants - en promenant les touristes pour un prix très modeste : 25 dollars la demi-journée. Conscient de ses limites, notamment en anglais, il ne se risque pas à faire le guide et se contente d’attendre sur le parking en partageant le thé avec des compatriotes.

On a causé pendant le trajet. Farad pense énormément de bien de Khomeini qui a sauvé le pays, pas grand bien d’Ahmadinejab dont il a vu le départ avec soulagement et du bien de Rohani dont il espère beaucoup. C’est bien la première fois que j’entends un chauffeur de taxi dire du bien d’un pouvoir en place ! Fils d’un paysan d’un village tout proche de Persépolis, il s’est installé à la ville, comme ses trois frères et ses deux sœurs. Il est pieux mais cela ne l’empêche pas de chanter – et d’une très belle voix – des poèmes d’amour d’Hafez. Il chante d’autant plus volontiers que l’autoradio, s’il a jamais existé, ne fonctionne plus. De temps à autre, il prend les nouvelles à la radio sur son téléphone portable.

Au retour de Persépolis, Farad m’a déposée chez Nedjat, une dame rencontrée la semaine dernière dans le train Ankara-Tabriz, qui m’a invitée à déjeuner. Assez loin, en périphérie de Chiraz, dans un quartier pauvre écrasé par la chaleur de midi. Nedjat, 45 ans, est mère de trois enfants, tous adultes, les deux filles mariées, le fils, 25 ans environ, ingénieur en réfrigération, encore à la maison. Ce midi, nous sommes cinq autour de la petite nappe posée par terre sur le tapis : Nedjat, son fils, une de ses filles et le petit-fils de 5 ans. Nedjat a divorcé il y a déjà quelques années et elle s’en tire tout juste financièrement en cousant des vêtements pour enfants que sa fille vend dans une petite échoppe du Bazaar.

L’appartement est au premier (et dernier) étage de la maison. On y accède par un étroit escalier de fer. On entre dans une pièce sans fenêtre meublée juste par un tapis, deux fauteuils droits et une petite banquette assortie. Rien aux murs, une ampoule nue au plafond. Cette entrée-salon distribue les autres pièces, la chambre qui sert à Nedjat d’atelier, pleine à craquer de machines à coudre, de bobines de fil, de rouleaux de tissus, de paniers remplis de petits vêtements en coton imprimé, brassières, shorts, tee-shirts, pyjamas... La seconde chambre où nous nous sommes installés pour manger par terre est meublée de deux lits en fer, d’un petit bureau d’écolier et d’une niche vitrée contenant quelques livres. Une porte fenêtre donne sur une terrasse où des draps sont étendus à sécher sur de grandes cordes à linge. Au-dessus du lit, sur le mur faisant face à la terrasse, est accrochée une photo encadrée représentant une très belle femme iranienne coiffée d’un foulard vert. Côté bureau, une carte des régions administratives de l’Iran. Ce sont les seuls objets qui ornent les murs de cet appartement où tout, du papier peint des chambres au carrelage de la salle de bains, a l’air très fatigué. Ce qui fait de cette chambre à coucher la pièce la plus accueillante la maison, c’est la présence d’un gros appareil à rafraîchir l’air posé sur le rebord de la fenêtre et grossièrement entouré de papier d’aluminium pour empêcher l’air brûlant de la terrasse de pénétrer. Quand on est assis par terre juste devant l’aérateur, de fait on ressent un agréable courant d’air frais. Pour le reste et notamment dans la cuisine et la salle d’eau, les deux pièces situées à l’opposé des chambres, il fait une chaleur de hammam (un des rares mots à ma disposition dans ce pays dont j’apprends très lentement le b-a-ba).

Au menu, un plat de riz aux herbes, du yaourt au concombre, un peu de thon en boîte et beaucoup de galettes de pain frais. Nedjat me propose ensuite et bien que ce ne soit pas la coutume du thé et quelques dattes.

Avec Nedjat et malgré la meilleure volonté, la conversation en anglais est très limitée. Je sais seulement que son divorce, obtenu par consentement mutuel, a été rapide mais qu’évidemment cette liberté dont elle est si fière lui impose de travailler plus durement pour gagner sa vie. Dans le train, tant que nous étions en Turquie, Nedjat était une des rares femmes iraniennes à circuler tête nue – elle a de très beaux cheveux bruns bouclés, coupés assez courts – en tee-shirt et pantalons (de sa fabrication). Au wagon-restaurant, elle m’avait dit qu’elle était contre la religion, en tout cas contre son utilisation politique, qu’elle voyageait pour la première fois à l’étranger, qu’elle rêvait de visiter l’Europe, Paris surtout.

Elle a appris l’anglais toute seule et a même acquis une méthode pour apprendre le français, un manuel de l’Alliance française datant d’un demi-siècle qu’elle tire maintenant de l’armoire pour me le montrer avec fierté. Mais elle n’a guerre eu le temps de s’y consacrer. J’aimerais poser davantage de questions, parler à sa fille qui découpe avec soin de petites fleurs en papier pour les coller dans l’album de son petit garçon. Ou au fils qui travaille dans une usine qui produit des frigos iraniens, paraît-il de très bonne qualité. Mais il y a l’obstacle de la langue, auquel s’ajoute la fatigue d’une matinée à crapahuter dans les ruines en plein cagnard.
On se quitte avec force embrassades.

Chez Nedjat, il n’y avait rien qui évoquait de près ou de loin l’islam. Ce n’est pas comme dans cette chambre d’hôtel où j’écris en ce moment et où une flèche noire au plafond indique la direction de la Mecque (le Coran et le tapis de prière sont dans le tiroir de la coiffeuse).
J’arrête ici provisoirement pour aller me balader.

L’ordinateur, au fait, va bien. Dans la nuit de lundi à mardi, il a reçu de l’eau s’écoulant de l’appareil à air conditionné de ma chambre à Yazd, un genre de cellule monacale donnant sur un charmant patio, le tout dans un de ces merveilleux mais pas très confortables hôtels traditionnels qui font la joie des touristes à Yazd. Il a fallu attendre le mercredi en fin d’après-midi pour que les doigts de fée d’Ismaïli ouvrent la tablette, débranchent la batterie, remettent en route, etc.. Cette panne – j’en ai connu d’autres en Palestine comme en Sibérie – m’a donné l’occasion de me rapprocher de la partie jeune, masculine, connectée et bricoleuse de la population, et d’explorer des quartiers pas touristiques pour un sou dans cette splendide ville multi-millénaire plantée au milieu d’un des déserts les plus arides de la planète.



Esquimaux faits maison, Ispahan
Esquimaux faits maison, Ispahan
Repas entre hommes, Tabriz
Repas entre hommes, Tabriz
Imagerie, imaginaires
Imagerie, imaginaires
Bazar rayon enfant
Bazar rayon enfant
Bazar, Chiraz
Bazar, Chiraz
Ruelles, Chiraz
Ruelles, Chiraz
A l'entrée d'une medersa, Chiraz
A l’entrée d’une medersa, Chiraz
Cérémonie pour les martyrs de guerre avec l'Irak, Tabriz
Cérémonie pour les martyrs de guerre avec l’Irak, Tabriz


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