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Reportage à Ramallah
Refaat Sabbah, pédagogue : « La démocratie doit être au cœur de l’école et de la société en Palestine. »
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Directeur du Centre de créativité des enseignants, Refaat Sabbah est un militant des droits de l’homme. Persuadé que la démocratie est aussi nécessaire à l’école qu’à la cause de la libération nationale, il consacre tous ses efforts à promouvoir les valeurs civiques au sein même des écoles palestiniennes.

(de Ramallah, 28 octobre 2003)« La violence ne doit pas devenir une valeur dans notre société. C’est pour proposer d’autres voies de résistance que nous avons créé avec quelques collègues hommes et femmes le Centre de créativité des enseignants (Teacher Creativity Center, TCC). » Refaat Sabbah, 39 ans, ancien professeur d’arabe, a fixé à la porte de son bureau le portrait souriant de Nelson Mandela. De grande stature, en chemisette claire, sans barbe ni moustache, affable, souriant, l’homme respire une sérénité qu’on rencontre rarement à Ramallah. Une modestie aussi. Tout directeur qu’il est, c’est lui qui prépare le café pour ses hôtes qu’il reçoit dans un bureau sans fioriture, largement ouvert aux visiteurs et aux membres de l’équipe.

Situé dans un étage élevé d’un immeuble du centre-ville, le local ouvre sur des collines à perte de vue. Si Refaat Sabbah semble un homme tranquille, la vie de l’association ne l’est pas toujours. Ses locaux ont été visités par les soldats israéliens lors de l’opération Rempart (qu’on appelle ici l’Invasion de 2002) ; ils se sont contentés de faire sauter la serrure d’entrée à la mitraillette, de tirer dans toutes les vitres, de terroriser le personnel et de répandre par terre le contenu du moindre dossier, dommages relativement mineurs en comparaison de ceux qu’ont subis la plupart des administrations publiques. Seule trace encore visible de cette visite, la grosse soudure bricolée sur la porte d’entrée à l’endroit des impacts de balles.

Le champ d’action de TCC, c’est le système éducatif palestinien (les établissements publics, privés et administrés par l’ONU), mais aussi les parents d’élèves et les municipalités. Depuis 1995, date à laquelle l’association s’est constituée, Refaat Sabbah a consacré la meilleure part de son temps à inventer de nouveaux moyens de diffuser les valeurs civiques. « Pendant la première Intifada, je me suis rendu compte que notre société tolérait de plus en plus la violence. Cela se vivait aussi à l’école dans les rapports des élèves entre eux ou avec leurs professeurs. La lutte de libération nationale semblait autoriser toutes les violations des droits de l’homme, de la femme, de l’enfant, la suspension de toutes les libertés individuelles. J’ai d’abord cherché seul des solutions dans ma classe et au sein de mon établissement. Tout le monde me prenait pour un fou. Puis, nous nous sommes retrouvés ensemble avec quelques collègues et peu à peu nous avons trouvé des financements pour développer les activités de notre association. »

Huit ans plus tard, TCC est devenue une association comptant 14 permanents et des centaines de bénévoles dont le bilan d’activité est impressionnant. Elle a formé des formateurs de formateurs qui, de proche en proche, ont organisé des stages pour 30 000 enseignants et cadres de l’éducation sur les 44 000 que compte la Palestine occupée (Cisjordanie et Gaza). Les formations théoriques et pratiques portent essentiellement sur la mise en œuvre d’une pédagogie des droits de l’homme dans la gestion de la classe et des établissements : tout le contraire d’une éducation civique qui se contenterait d’énumérer des droits et des devoirs. Ce programme de généralisation soutenu par le ministère de l’éducation palestinien a été financé par le Royaume-Uni. D’autres activités reçoivent des financements de la Fondation Ford, de l’Union européenne, de la Fondation européenne pour les droits de l’homme ou d’organisations non-gouvernementales canadiennes comme Oxfam.

Refaat Sabbah est persuadé que les valeurs ne se transmettent que par l’exemple. Qu’il s’agisse du respect de l’autre ou du respect de la loi, les enfants ne peuvent assimiler ces principes que s’ils sont mis en pratique quotidiennement dans l’école. « Notre système éducatif est dictatorial. Les enseignants pensent que leur rôle est de transmettre des informations, de les répéter et de les faire mémoriser et stocker. Dans ce système, les profs s’ennuient autant que les élèves et tout le monde fuit l’école. Nous voulons la faire aimer. Ce qui nous a réunis ici au TCC c’est que nous sommes persuadés que la liberté est au cœur de tous les apprentissages. Sans démocratie, sans développement de l’esprit critique, il n’y pas de créativité.. Si l’école est un milieu étouffant qui ne vit que sous la contrainte, rien de bon ne peut en sortir, pour personne. Et encore moins pour les enfants qui vivent dans les conditions les plus difficiles. »
L’action de TCC ne situe pas directement dans le champ de la politique, ce qui ne veut pas dire que les préoccupations politiques lui soient étrangères. « La société israélienne, explique Refaat Sabbah, pratique davantage en son sein la démocratie et la transparence que la nôtre. Dans sa confrontation avec nous, cela lui donne un avantage. Notre cause ne peut l’emporter que si notre société s’approprie réellement les droits de l’homme, si elle respecte l’autre, la femme, l’enfant, les plus faibles, si elle reconnaît le droit pour chacun de participer à égalité au développement du pays. Une victoire remportée sans la démocratie ne pourrait déboucher que sur une dictature comme on en voit partout chez nos voisins arabes. » Ce message, l’association TCC l’a porté dans de nombreuses réunions à l’étranger, notamment dans le cadre du Forum social mondial. Elle l’a porté aussi en Israël où des liens avec les organisations syndicales d’enseignants ont pu se développer, au moins jusqu’en 2000.

En partenariat avec le ministère de l’Education palestinien, l’association TCC a réalisé un manuel d’éducation civique destiné aux maîtres diffusé à 9000 exemplaires. Il contient cent activités et jeux éducatifs pour promouvoir les droits de l’homme et combattre le racisme, le sexisme, l’intolérance, l’irresponsabilité, le mépris de la loi et de l’intérêt public.
Mais, dans les conditions actuelles de la Palestine occupée, la priorité est d’éloigner les enfants de la violence directe. « Nos garçons sont tentés de s’approcher des check points, d’affronter les soldats ou les colons à coups de pierre. Nous disons aux parents qu’ils doivent absolument tenir leurs enfants jusqu’à 18 ans à l’écart de tout cela. Nous insistons beaucoup sur le droit de chaque enfant à vivre et à protéger sa propre vie. Nous sommes allés à Jenine cette année tenir une conférence sur ce thème et franchement, nous redoutions un accueil très négatif. Après les destructions et les horreurs que la ville a subies en avril 2002, notre message non-violent risquait d’être très mal compris. Pourtant, c’est très exactement le contraire qui s’est produit. Les autorités municipales et les partis politiques nous ont apporté leur soutien. Cela nous a permis de conduire 85 ateliers (accueillant chacun 50 parents) centrés sur la création de formes alternatives de la participation à la résistance. »

Une autre expérience dont Refaat Sabbah est particulièrement heureux est ce camp d’été que TCC a organisé cette année pour 120 enfants (8-13 ans) de Jenine. « Au début, les enfants étaient apathiques, apeurés, agressifs. Ils dessinaient sans cesse du sang, par exemple des fleurs d’où s’écoulait du sang. Peu à peu, grâce à tous les jeux que nous avons mis en place, leur comportement a changé, et leurs dessins aussi. Ils ont créé des affiches où ils représentent les enfants palestiniens au milieu de tous les enfants du monde, des Chinois, des Africains mais aussi des Juifs. Il est essentiel qu’ils apprennent à voir au-delà de la Palestine et du monde arabe toute l’humanité. Le camp s’est terminé par un spectacle entièrement conçu et monté par les enfants eux-mêmes auquel beaucoup de parents et d’habitants ont assisté. » A Ramallah, un camp similaire a réuni le mois suivant 146 enfants.

Depuis qu’il est devenu le directeur de TCC, Refaat Sabbah n’enseigne plus, ce qui lui manque un peu. Mais, explique-t-il, avec ses deux enfants, il met en pratique les principes éducatifs de l’association. « Je veux aussi que mes enfants soient propres intérieurement. Si à la maison, je les entends dire quelque chose contre les Juifs, je ne le laisse pas passer. Je leur rappelle que Gayle, la femme d’un de nos meilleurs amis est juive. Comme mes enfants l’adorent… » Il est trois heures de l’après-midi et c’est justement l’heure pour Refaat d’aller chercher ses enfants à la sortie de l’école.

Renseignements : teachercc.org
Contacts : tcc@ teachercc.org
00 972 2 295 99 60



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