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Témoignage Palestine 18 - 28 décembre 2003, par Pierrette Bras ![]() Article publié par la revue Etudes palestiniennes n°91, printemps 2004 « Les ouvriers marchent à toute vitesse vers le contrôle. Ils ne voient rien sinon leurs pieds, laissant à leurs corps le soin de parcourir mécaniquement la distance qui sépare les véhicules, des fouilles et des vexations. Leurs yeux expriment la violence de l’humiliation . C’est la scène la plus éprouvante de mon voyage en Palestine, avec cette dernière image de Gaza : des milliers d’hommes silencieux marchant sous le regard de deux femmes soldats assises sur un petit muret. L’une est brune, l’autre rousse. Elles balancent leurs pieds dans le vide, telles deux fillettes. » Elias Sanbar, La Palestine un pays à venir Anne s’est installée en septembre 2003, pour plusieurs mois, à Ramallah. Comme quelques-uns uns de ses amis, nous avons eu la grande chance, Gérard et moi, de la rejoindre. C’est essentiellement elle qui nous a guidés et servi d’interprète. 18 décembre 2003Départ. Décollage prévu à 10h20, réel 12h00. – Arrivée à Tel-Aviv 17h30 Le contrôle de police, que l’on nous avait prédit difficile dès lors que l’on voyage via Air France, se révèle assez simple, réduit à quelques questions sur le contenu des bagages et une palpation pour Gérard. A Tel-Aviv, la fiche remplie dans l’avion et présentée à la jeune policière déclenche une série de questions. Il fait grand nuit, il pleut. Une trentaine de kilomètres séparent Tel-Aviv de Jérusalem, puis encore une quinzaine jusqu’à Ramallah. Entre les deux : le grand « check-point » de Qalandya Avi Mograbi , que nous rencontrerons en fin de séjour, à qui nous suggérons que les soldats doivent subir une mise en condition ou, pour le moins, recevoir des consignes, nous assure que non. C’est inutile. Ces jeunes gens sont exposés au danger. Cible potentielle d’un tireur, ils vivent dans la peur permanente. De plus, ils ont de fait un pouvoir absolu sur autrui en situation de non droit, qui peut engendrer mépris, haine voire sadisme. Effectivement, à de très rares exceptions près, comme ce jour où nous avons été salués en français avec le sourire, l’attitude des soldats est la même, ce qui nous a laissé croire à un embrigadement. Les Palestiniens ont coutume de dire « En Palestine, la règle c’est qu’il n’y a pas de règle ! » Mais revenons à Qalandya, le 18 décembre. C’est un jeudi, veille du jour de repos pour les musulmans. L’affluence est grande, chacun veut rentrer chez soi. Il est impératif de franchir le barrage qui ferme à 21h30. Il pleut toujours, il fait froid. La maison dans laquelle Anne loue un vaste appartement, est située légèrement à l’écart dans un quartier résidentiel. C’est une jolie bâtisse en pierre, comme beaucoup d’édifices de la région. Elle abrite trois familles sur deux niveaux. Nous rencontrerons et parlerons avec plusieurs locataires pendant notre séjour. Vendredi 19 décembreLa ville est grise d’un brouillard de crachin. Les volets des boutiques sont fermés. Les affiches, en hommage aux martyrs, détrempées, rendent l’atmosphère affreusement triste. Ils se réunissent environ tous les deux mois pour réfléchir en commun sur la situation de leur (s) pays. Le groupe est plus large que les présents mais les difficultés de transport rendent presque impossible la réunion de tous ses membres. Aujourd’hui ils sont une vingtaine. En plus de nous trois (Anne, Gérard et moi) un journaliste français indépendant assiste aux échanges. L’ordre du jour : les accords de Genève et le problème du boycott des universités israéliennes en Europe. Les débats se déroulent en anglais (la deuxième langue en Palestine). Auparavant un tour de table permet à chacun de se présenter. Très impressionnée, les quelques mots d’anglais qui suffiraient me font défaut. J’articule en rougissant : « My name is Pierrette Bras, I am French » qui amuse beaucoup l’assistance. Heureusement Anne assure l’essentiel de la traduction. A Paris Les Accords de Genève m’avaient rassurée même si je n’en ignorais pas les difficultés de mise en œuvre. Une nouvelle porte ouverte par des Israéliens et des Palestiniens, ensemble, me semblait positive de toute façon. Ici, le scepticisme règne. Les plus modérés pensent qu’ils ne sont pas entièrement négatifs. La majorité est hostile. La représentativité voire la légitimité de Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, les deux principaux initiateurs du texte sont mises en cause. Plus grave, le sort des réfugiés est très mal abordé. Or cette question est centrale et incontournable pour qui veut sérieusement prétendre proposer une négociation entre Israéliens et Palestiniens. Des écrivains comme David Grossmann et Amos Oz sont vivement critiqués car ils laisseraient croire à un renoncement palestinien au retour des réfugiés. Ce qui est faux et dangereux car la responsabilité de l’échec d’un accord entre les deux parties retomberait une fois de plus sur les négociateurs palestiniens accusés d’intransigeance. Si l’attitude de ces deux écrivains se révélait exacte, elle m’attristerait profondément car je les tiens pour des gens sérieux et sincères. Il serait néfaste que le désir de voir le conflit se résoudre conduise à évacuer un problème aussi profond. En effet, si la question du retour des réfugiés est délicate à résoudre, l’avis général est que personne ne peut décider à leur place de leur volonté de rejoindre ou non la terre qu’ils ont fuie en 1948 et sur laquelle ils ont été empêchés de revenir. Il serait alors impératif qu’une liberté totale de circulation soit la règle pour tous. On voit que Genève n’est pas à la veille de réussir. La deuxième question entraîne une vive discussion. Certains sont très fermes : il faut boycotter tous les universitaires israéliens dans les universités européennes ; d’autres considèrent que cette solution priverait les partisans de la paix les plus combatifs du soutien qui leur fait cruellement défaut ; d’autres encore proposent une réponse au coup par coup et préfèrent laisser le choix en fonction des personnalités ou des disciplines de recherche. Par exemple, toute collaboration sur des sujets touchant à la recherche scientifique ou technologique dès lors qu’elle est susceptible d’aider à la fabrication d’armes serait bannie, en revanche des scientifiques, sociologues ou philosophes pourraient être accueillis. Quelques-uns, plus déterminés, souhaitent que tous les produits israéliens soient boycottés afin de faire pression sur la population israélienne. Aucune réponse définitive ne sera trouvée, ce n’était pas l’objectif. Il s’agissait de confronter les idées à la lumière des différentes expériences et positions de chacun. Ce qui est remarquable c’est la très grande sérénité, le profond respect dont chacun fait preuve à l’égard des autres. Parfois les échanges sont vifs, les propos tranchés, jamais ils ne deviennent coléreux, encore moins blessants. On se prend à souhaiter autant de sagesse à Paris ! Mais vite, ne perdons pas de temps. Profitons des dernières lueurs du jour, Jérusalem nous attend. Il pleut toujours. Sari qui connaît cette ville comme sa poche, est un guide précieux. De la terrasse de la superbe maison de l’Institut évangélique autrichien, une des plus belles vues sur les toits de Jérusalem s’offre à nous. Celle-là même qui m’avait tant séduite dans ce beau film d’Abraham Segal, Le Mystère Paul, vu à Paris en 1999. Nous reviendrons plusieurs fois à Jérusalem au cours de notre séjour. Samedi 20 décembreGrand beau temps. Une visite de Ramallah s’impose. Aux côtés des comestibles, le marché de Ramallah propose beaucoup de vêtements, chaussures ou accessoires. Un coup d’œil rapide renseigne sur leur provenance : Corée, Chine… Les marchandises entrent plus facilement que les hommes dans ce pays ! Le hasard guide nos pas jusqu’à Saint-Georges, église orthodoxe grecque. Un grand gaillard d’archimandrite nous fait les honneurs du lieu. C’est un homme jeune. Après des études à l’étranger, il revient en Palestine, diplômé en informatique. Mais comme il n’a pas fait son service militaire –of course, comment le pourrait-il ? L’armée israélienne n’est pas disposée à intégrer des Arabes !- il ne peut prétendre travailler dans cette branche. Ce qui est fort dommage car les besoins sont grands. Nous avons constaté le développement des réseaux de communication. Le courrier électronique notamment est très couramment utilisé. Les cybercafés sont nombreux qui permettent de rompre l’isolement. Notre hôte nous dit dans un sourire et avec beaucoup d’humour que cela lui a permis d’étudier les Ecritures et qu’il en est très heureux. En le quittant nous passons à proximité d’un restaurant, connu d’Anne, tenu par des femmes. L’endroit nous plaît, il surplombe la ville et les collines à l’est de la ville. La cuisine sent bon, nous décidons d’y déjeuner. En fin de repas la cuisinière, patronne des lieux s’assied à notre table, à notre invitation, pour bavarder un peu. Elle a vécu longtemps en Californie puis a décidé, elle aussi, de rentrer. Elle dit l’aménagement du restaurant, l’investissement. Elle dit comment, au début du siège, en 2001, les soldats font irruption. Elle dit comment ils cassent, tout, méthodiquement. Elle dit qu’elle a tout reconstruit. Elle dit… Une dernière visite : la Mouqata’a. Dimanche 21 décembreNous décidons de visiter la vieille ville de Jérusalem. Nouveau passage à Qalandya que nous reconnaissons à peine. De jour et par temps sec, on pourrait presque se croire sur un de nos marchés, si ce n’était la présence des soldats. Fruits, légumes, vêtements, pain et téléphones portables s’étalent et se vendent. Je suis touchée à la vue de ces femmes à l’incroyable élégance, qui portent talons et bouts pointus très mode, dans ce chaos. Même dans ces conditions détestables, la féminité conserve ses droits. Arrivés à Qalandya je m’aperçois que j’ai laissé mon visa chez Anne. Heureusement Gérard a le sien mais il va falloir convaincre le soldat. Il feint, de nous croire quand Gérard lui explique dans un anglais hésitant, que sa femme a laissé le précieux document at home ! Pour entrer en Israël le visa préalable n’est pas nécessaire. Il est délivré sur feuille volante à l’aéroport de Tel-Aviv pour une durée de trois mois. Il doit être présenté à chaque contrôle. Ouf ! Nous voilà installés dans le service blanc. La détente est de courte durée. Un problème que nous n’identifions pas, contraint le chauffeur à faire demi-tour. Un nouveau soldat monte à bord, chaque passager lève son passeport. Nous sommes les seuls non-Palestiniens. Il veut voir nos documents. D’un signe autoritaire il demande qu’on les lui apporte. Nouvelle explication sur l’absence de visa. Bougon, il nous laisse cependant partir non sans signifier que nous n’en avons pas le droit mais qu’il fait preuve de magnanimité. Ok. Je n’oublierai plus mon visa de tout le séjour ! La méthode aurait-elle du bon ? Venant de Qalandya, l’arrivée à Jérusalem passe devant le ministère de l’intérieur israélien. Ce matin-là des manifestants dont nous ignorons les revendications, vocifèrent des cris hostiles à notre passage, cognant sur le véhicule et collant des tracts sur ses flancs. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait très probablement de colons. Je suis admirative du calme avec lequel nos voisins accueillent ces menaces. Habitude, crainte, mépris en retour, fierté ? Lundi 22 décembreUn groupe de militants parisiens, venus soutenir les responsables et les enfants du centre Al-Rowwad du camp Aïda, l’un des trois camps de réfugiés de Bethléem, nous rejoint à Ramallah et décide de nous accompagner à l’université de Bir Zeit, distante d’une dizaine de kilomètres. Nous avons de la chance car le « check point » a été levé courant décembre. Il était un véritable cauchemar pour les étudiants et les professeurs qui devaient, parcourir plusieurs kilomètres à pied et par tous les temps, après avoir subi contrôles et vexations des soldats. Souvent les filles passaient, pas les garçons. L’accès était devenu si difficile que certains professeurs ont renoncé à leur cours et que quelques départements ont dû fermer ! Les actions militantes menées avec l’aide d’Internationaux , ont peut- être aidé, ce n’est pas sûr et… ne pas se réjouir trop vite, il peut être réinstallé d’un jour à l’autre ! En Palestine, la règle… L’Université de Bir Zeit est privée. Créée en 1924, elle compte 6000 étudiants, 700 professeurs et personnels. Quatre instituts (droit, commerce, sciences sociales, architecture). L’accès est payant et beaucoup d’étudiants rencontrent de grosses difficultés pour régler les frais. 35 % du budget proviennent des droits d’inscription (1400 € par an). En avril 2002, un enseignement à distance à dû être installé en urgence. Bir Zeit, à vocation palestinienne, devient à cause de toutes ces difficultés d’accès, université régionale. Certains étudiants ne sont pas rentrés chez eux depuis trois ans. Aux inconvénients décrits plus haut s’ajoute le coût des transports, chaque changement de véhicule entraînant un nouveau paiement. Pour l’heure nous assistons au cours de français. Une dizaine de jeunes filles, jeunes femmes (deux sont enceintes) ainsi que leur jeune et jolie professeur, nous reçoivent avec plaisir. Nous remarquons l’hégémonie féminine. On nous promet deux étudiants pour l’année prochaine ! Ici comme partout en Palestine, les étrangers et particulièrement les Français sont les bienvenus. Il y a un besoin impérieux de sortir de l’isolement imposé par l’occupant. Chacune se présente et décline son intérêt pour la langue française, très minoritaire à Bir Zeit. Toutes, sauf une, la pratiquent déjà. Plusieurs l’ont apprise dans une école chrétienne, nombreuses en Palestine. Elles font preuve à son égard d’un grand attachement. A notre question de savoir quel usage elles en espèrent, deux seulement sont précises. Elles comptent sur sa rareté pour devenir interprète ou traductrice. Les autres en restent à leur plaisir de la parler sans beaucoup plus de précision, si ce n’est de pouvoir communiquer avec l’étranger. La question de la future loi française sur l’interdiction du hidjad (communément appelé foulard islamique, en France) à l’école déclenche une incompréhension et une réprobation générale. A chaque fois que ce problème sera abordé durant notre séjour, la réaction sera la même. Certains allant jusqu’à avancer l’idée que Chirac se rachète auprès de Bush de sa position contre la guerre en Irak. Elles sont toutes nue tête, cependant plusieurs portent le voile régulièrement. L’une d’entre elles, une jeune Algérienne arrivée depuis peu et qui maîtrise parfaitement le français, revendique pour elle-même, le droit de porter le voile. Elle le dira avec fermeté, bien que sa mère soit une féministe, doyenne d’université. Je n’ai pas très bien compris pour quelle raison d’ailleurs. Toutes diront qu’il s’agit d’une décision personnelle qui relève de la liberté individuelle, sans rapport avec une remise en cause de la laïcité. A l’automne dernier ont eu lieu les élections au Conseil d’Administration de l’Université. Le Hamas est arrivé largement en tête des suffrages. Plusieurs étudiantes diront qu’il s’agit plus d’un vote de protestation contre l’Autorité que d’une approbation de l’activité du Hamas. A notre question : Après la conférence, l’envie nous prend de rentrer à pied tout en continuant à discuter. Anne nous propose d’aller voir les restes de la maison suspectée d’avoir abrité deux terroristes tués par les soldats et détruite par l’armée israélienne quelques jours avant notre arrivée. Un troisième cadavre, celui d’un enfant, aurait été trouvé à proximité. Quelques mots sur la destruction. Lorsqu’une maison est soupçonnée d’avoir abrité un terroriste, elle est détruite. A Ramallah, ce petit immeuble comptait plusieurs appartements ; les soldats ont donné un quart d’heure à un membre de chaque famille pour ramasser quelques affaires puis l’ont fait exploser. Le calme actuel de Ramallah ne doit pas nous faire oublier que l’occupation engendre une violence susceptible de surgir à tout moment. Cette cité a subi un siège de novembre 2001 à septembre 2002. Le monde entier a vu les images sur les écrans de télé, pas forcément saisi le calvaire enduré par ses habitants. Mardi 23 décembreNous devons assister, à Bethléem à la représentation théâtrale « Nous les enfants du camp » donnée par le Centre « Al-Rowwad ». Une quinzaine d’enfants a écrit et joue, avec l’aide d’un animateur, une pièce sur leur vie de réfugiés. Nous décidons de partir assez tôt pour faire un peu de tourisme. Bien nous en prend, mais de tourisme point. Deux officiers de Tsahal ont été tués le matin à Gaza. Réaction immédiate : punition généralisée pour tous les territoires en attendant les représailles. Elles auront lieu le lendemain : 9 Palestiniens tués, 40 blessés. Nous ne savons pas encore que quelque chose a eu lieu mais nous sentons la nervosité des soldats. Arrêté une première fois au niveau de l’Université d’ Al Quds (Jérusalem), village d’Abou Dis, le service débarque ses passagers. Nous montons dans un autre qui se charge d’étudiants et de professeurs. Nous franchissons l’obstacle à pied et sans problème. Nous montons avec les quelques personnes autorisées. Plus loin un autre contrôle va encore trier ceux qui ont contourné la difficulté à travers champs. Nous en sommes les témoins impuissants. Un soldat très nerveux et hargneux ordonne aux hommes de se mettre en rang, et vite. L’un d’entre eux, plus lent ou distrait, reçoit un coup de téléphone portable sur l’oreille et obtempère. Nous sommes en retard pour la représentation. Nous trouvons avec quelques difficultés le nouveau théâtre de Bethléem. Salle moderne qui surprend un peu dans cette ville à l’architecture chargée d’Histoire. La structure des camps est la même qu’à leur origine. Les tentes ont été remplacées, par des constructions solides, au fur et à mesure que les réfugiés comprenaient qu’ils devaient s’y installer durablement. Les enfants nous laissent leur chambre, Brahim et sa femme nous procurent très vite des couvertures. Mercredi 24 décembreFinalement, ce lever matinal nous permet de visiter l’église de la Nativité en toute quiétude, en seule compagnie de quelques policiers palestiniens qui préparent la venue de plusieurs centaines de personnalités qui participeront à la messe de minuit. La ville commence à se préparer pour les festivités. Puis nous partons pour Beit Sahour, la ville des « bergers », petite bourgade qui bénéficie de la proximité de Bethléem. Le maire est chrétien. Nous rentrons sans trop de difficultés à Jérusalem où nous avons rendez-vous avec Anne et deux nouveaux amis français fraîchement arrivés. L’un cinéaste, l’autre preneur de son. Nous les retrouvons à la Maison d’Abraham, grosse bâtisse tenue par le Secours catholique français, lieu d’accueil des pèlerins. Notre lieu d’habitation durant notre séjour, pour la police israélienne. L’origine de beaucoup d’implantations nouvelles est la suivante. Une baraque de distribution d’essence, parfois une simple caravane s’installent à proximité d’un point d’eau, quelques temps après, au nom de la sécurité, les destructions commencent, forêts ou bâtiments, oliviers, cultures… Puis comme le terrain est libéré, l’extension est possible qui engendre elle-même des destructions…et ainsi de suite. De quoi s’agit-il ? De vraies colonies ou de quelques caravanes déposées depuis peu ? Il s’agit, en fait, de colonies situées dans la bande de Gaza. Leur évacuation est conditionnée au développement d’implantations en Cisjordanie ! Ayant retrouvé la petite troupe, nous nous remettons en route pour Ramallah. Douche et changement de tenues s’imposent, c’est que nous sommes invités en ville ! Malgré les événements des deux derniers jours nous décidons de partir pour Hébron. Anne nous accompagne. Au cours de notre visite de la vieille ville nous rencontrons deux étrangers, certainement des journalistes, munis d’appareils photos. Le premier, un Anglais ou Européen du Nord. Livide, il nous explique qu’il a été arrêté à plusieurs reprises par les soldats et que l’atmosphère de ces lieux le rend malade. Nous aussi. Nous n’aurons pas d’échanges avec la seconde, japonaise ou coréenne. A quelques pas, un peu de vie. Incongrue, dans cette ville quasi morte, une toute petite boutique de boulanger propose des petits pains plats qui ressemblent un peu à des blinis. Pour deux shekels (l’équivalent de 0,30 €) nous en recevons une grande quantité qui nous ramènent à un peu d’humanité. Poursuivant notre chemin, nous rencontrons quelques ouvriers qui s’affèrent à la réparation de canalisations. Nous apprendrons qu’une ONG est missionnée pour préserver ou plutôt tenter de préserver le patrimoine d’Hébron. Plus loin, quelques garçonnets jouent avec une boîte de conserve, devenue un ballon de foot. Il reste encore quelques familles dans ces lieux mortifères. Choix ou manque d’argent ? Nous nous préparons pour partir mais le café vient d’être servi. Il n’est pas question de vexer nos hôtes en le refusant. Après l’avoir bu, nous prenons congé avec force émotion, embrassades et remerciements mutuels. Cet intermède chaleureux nous fait beaucoup de bien. il nous permet de supporter le retour à l’extérieur. Le centre a dû, comme les Arabes, déménager tant les colons rendent la vie difficile dans la vieille ville. Il est maintenant dans un bâtiment neuf près de l’université. Une demi-douzaine d’étudiants qui fréquentent le cours de français nous reçoivent, bientôt rejoints par leur professeur. Nos interlocuteurs fréquentent l’Institut polytechnique de l’université qui compte environ 2000 étudiants. 4000 autres sont inscrits en sciences humaines. Un verre de thé à la main, nous conversons sur les difficultés quotidiennes de nos jeunes hôtes (les mêmes ou presque que celles des étudiants de Bir Zeit) quand la nouvelle de l’attentat-suicide de Tel-Aviv nous parvient. Dix morts (en fait quatre et dix blessés). Personne ici ne le condamne. Sans porter de jugement, nous leur faisons part de nos réserves auxquelles ils répliquent en nous rappelant la Résistance française pendant la seconde guerre mondiale. « Vous aussi vous aviez vos terroristes… » La différence que nous ne manquons pas de leur opposer, est que jamais un résistant français n’a choisi une foule anonyme de civils pour cible. La question qui les préoccupe est celle de savoir d’où venait le kamikaze car en attendant que sa ville soit bouclée, au moins pendant plusieurs jours et sa maison rasée, selon le rituel, ce sont tous les territoires occupés qui vont subir la punition, collectivement. Avant de rejoindre nos chambres, nous dînons avec un étudiant et le professeur. Sa sœur est peintre, elle expose régulièrement en Egypte. Les langues se libèrent très vite. Le jeune homme dit très nettement que « les Juifs n’ont qu’à retourner chez eux. » Entendez leur pays d’origine pour les immigrants. Et les autres ? Il les chasserait bien ! Le prof., lui, est très critique vis-à-vis de l’Autorité. Dans un français impeccable, il a des mots très durs : Vendredi 26 décembreUn jour gris se lève sur Hébron. De la fenêtre de notre chambre nous voyons circuler quelques véhicules. La ville n’est donc pas sous couvre-feu, comme c’était à craindre. Nous décidons de partir le plus vite possible. Après un solide petit déjeuner (nous ne savons pas de quoi la journée sera faite), nous cherchons un moyen de transport. Justement voilà un grand car qui s’approche. Il va vers Jérusalem mais rien n’est garanti. Nous montons. Les visages sont très tendus, le conducteur nerveux. Un premier barrage est franchi. Le chauffeur d’un autre car venant en sens inverse nous prévient que la situation est très difficile. Le nôtre décide de poursuivre. Plus loin un autre barrage. Un soldat se poste au milieu de la route, ordonne de stopper et nous met en joue. L’homme au volant lui lance très vite « chalom, chalom » et montre ses papiers. L’autre s’avance, regarde les documents et décide : le car n’est pas autorisé à continuer. Tout le monde descend. Nous sommes une dizaine à attendre sur le bas-côté de la petite route qu’un autre car nous convoie en sens inverse, avec l’espoir de trouver un débouché. Nos compagnons d’infortune nous conseillent de traverser la grande route toute proche qui va directement à Jérusalem, et de faire du stop. Nos passeports européens nous y autorisent. Un peu honteux de les laisser là, nous suivons cependant leur conseil après les avoir remerciés. Effectivement, quelques minutes d’attente suffisent pour qu’un véhicule nous charge, non sans avoir vérifié nos papiers. Sur le chemin, nous laisserons sur le bord de la route des hommes au bras levé qui n’auront pas la même chance que nous. Nous recevons deux militants. Un Quaker, ingénieur retraité italien et sa compagne, sud-africaine, venus planter des oliviers dans un champ déserté par des Palestiniens. Samedi 27 décembrePour notre dernier jour, nous choisissons de faire un peu de tourisme à Jéricho. Premier problème, se faire comprendre car Jéricho se dit Ariha en arabe, ensuite trouver un service, un taxi au prix fort l’est toujours ou presque, un service qui fasse le plein vers midi pour Jéricho, beaucoup moins. Car le service ne part que quand il est complet ! Nous attendrons une heure et demie ! Changement d’ambiance. Ici le « check-point » a presque des allures de poste-frontière, sauf que les douaniers ont des armes prêtes à parler. Deux drapeaux flottent sur deux camps militaires à l’entrée de la ville. L’un palestinien, l’autre israélien. L’air est chaud, le vent du désert tout proche recouvre la ville d’une fine poussière de sable. La sérénité apparente tranche nettement avec ce que nous avons vécu ces derniers jours. Première ville autonome de Cisjordanie, en 1994, elle entreprend de nombreux investissements misant sur un tourisme de luxe , aujourd’hui défaillant, d’autant qu’elle est à la merci permanente d’un bouclage ou d’un couvre-feu. Nous voulions monter jusqu’au Monastère de la Quarantaine auquel on accède par un téléphérique (l’inauguration en 1999 témoigne de la ténacité de ses habitants) d’où l’on a une vue imprenable sur l’Oasis. Retour à Ramallah, valises, départ pour Tel-Aviv. Un taxi vient nous chercher. Il pleut. Nous ne pourrons franchir Qalandya, le « check-point » est fermé. Des dizaines de véhicules attendent le bon vouloir de l’armée. Nous passons une agréable dernière soirée, dans un restaurant de poisson, avec Anne et Avi Mograbi, . Homme de gauche, très engagé dans la lutte pour la paix avec les Palestiniens, il revient justement d’une manifestation de protestation contre l’armée qui a tiré sur des manifestants anti-mur dans une colonie. Pour la première fois, un soldat a visé et blessé un Israélien. Cela se reproduira quelques jours plus tard. Je suis très sensible au calme et à la lucidité d’Avi. Il se bat, sans illusion ni optimisme. La société israélienne va très mal. Le chômage sévit, la misère gagne chaque jour du terrain. 30 % des Israéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté ! C’est chacun pour soi. L’esprit socialiste a vécu. Il pense que, dans leur grande majorité, les Israéliens en ont assez de la guerre. Ils souhaitent la paix mais ne bougent pas pour l’exiger, encore moins pour réparer les dégâts commis en leur nom. Sharon a encore de beaux jours devant lui. ! A-t-il songé à s’expatrier ? Oui, quelques fois. Plus maintenant. Son fils a décidé de refuser de faire son service militaire, il ne veut pas servir Israël dans les territoires occupés. Avi sait déjà que d’ici un an, son fils sera emprisonné. Dimanche 28 décembreLe lendemain matin, une promenade de bord de mer jusqu’à Jaffa. Accrochée sur un piton rocheux. Le soleil, la mer, le calme et ses petits airs de Saint-Paul de Vence nous feraient presque oublier la violence pourtant toujours prête à exploser. L’heure du départ approche. Le bus qui va à l’aéroport est à l’heure. Nous montons. Le chauffeur est un jeunot fort désagréable. Parole, il nous a pris pour des Arabes ! Troisième contrôle. Le sac à dos contenant des livres est ouvert, examiné de très près, chaque livre feuilleté. Ce ne sont ni les titres ni les textes qui sont en cause, ils sont écrits en français, langue peu pratiquée, ici à l’aéroport, mais ils sont autant de caches possibles pour des armes telles que des lames. Vient le tour de notre valise. Ouverte elle est vidée elle aussi, son contenu fouillé. Qu’il est agréable d’exposer ses affaires en public ! Une autre jeune femme passe un appareil à l’intérieur, genre spatule munie d’un petit torchon blanc, servant vraisemblablement à détecter des traces de poudre. Forts de notre innocence, nous attendons tranquillement la fin de l’inspection, quand la jeune femme fait basculer la séparation médiane de la valise et…découvre un superbe sac provenant de LA pâtisserie de…Ramallah. Stupeur des deux parties. Nous survolons Tel-Aviv juste après le coucher du soleil. La nuit est percée du scintillement des lumières de la ville. L’image que j’en garde est féerique. * Pendant mon séjour, Il y a eu des morts palestiniens à la suite de l’incursion de l’armée dans Naplouse et un attentat-suicide à Jérusalem, puis d’autres morts en représailles. Je n’en ai pas été le témoin. Je n’ai pas été, ni mes proches, victimes de violences. Cependant ce que j’ai vu, entendu, senti dans mon corps et dans ma tête est intolérable. Stop. Basta. L’idée d’écrire ce témoignage m’est venu tout naturellement en revivant nos différents échanges avec les Palestiniens. Contribuer à desserrer l’étau du silence, c’est le moins que je puisse faire pour eux. Je me moque de savoir qui était là, le premier, sur cette terre. Les enfants de Aïda ou de Jaffa doivent vivre sans la présence constante de la mort. Au moment où j’écris ces mots, un courriel tombe : l’armée est dans Aïda (le dernier kamikaze en est originaire). Sa maison vient d’être détruite et beaucoup d’autres à l’entour. Les bombes assourdissantes, les balles. Les gaz lacrymogènes inondent les rues. Les soldats occupent les toits des maisons. Les enfants leurs jettent des pierres. Abdelfattah, directeur du Centre culturel du camp, signe ce communiqué : « Résister avec la beauté, la culture et l’art à la laideur de l’occupation ». L’année 2004 commence mal. Les Palestiniens ont besoin de notre solidarité. Ils doivent tenir bon jusqu’à ce que l’opinion israélienne et internationale contraignent Sharon à la raison. Chalom, Salam. Pierrette Bras |
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