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Oncle Rithy Entretien avec Jean-Marie Barbe Avec Oncle Rithy, vous avez réalisé le portrait d’un ami. Comment avez-vous rencontré Rithy Panh ? Jean-Marie Barbe : Rithy est venu à Lussas en 1989 pour la première édition des Etats généraux du film documentaire. Il était invité pour présenter son premier film Site 2 et il a participé à notre premier séminaire, qui portait sur la question de l’éthique et la morale dans le documentaire. Nous nous sommes connus à cette occasion. Depuis, tous ses films documentaires ont été montrés à Lussas. Comment est né le projet du film ? Jean-Marie Barbe : Je suis allé au Cambodge en 2005 pour essayer de mettre en place avec l’aide de la Région Rhône-Alpes, au futur centre Bophana qui n’était pas encore rénové, une formation de cinéastes sur le même modèle que celui que nous menions en Afrique. Pendant dix jours, j’ai rencontré les partenaires potentiels que m’avait conseillés Rithy Panh. Il était à cette époque en repérages pour Le Barrage contre le Pacifique. En le regardant travailler, je lui ai fait la proposition de réaliser un film sur lui l’année suivante. Au départ, il s’agissait donc d’un documentaire dans le cadre du tournage de ce film. Mais c’est devenu très vite un documentaire sur le cinéaste Rithy Panh et son œuvre. Et l’amorce d’une collection de portraits de documentaristes. En coproduction avec l’INA et Ciné Cinémas, les films suivants vont se lancer à l’automne 2009 : nous allons tourner des portraits de Vittorio De Seta, d’Avi Mograbi, de Claude Lanzmann et j’espère de Chris Marker. Dans Oncle Rithy, ce sont les collaborateurs et amis de Rithy Panh qui nous révèlent des éléments de sa biographie ; lui-même parle d’autre chose. Jean-Marie Barbe : Rithy parle de ses films, des questions fondamentales qu’ils ont soulevées et de son rapport à l’histoire tragique de son pays. Il a une grande pudeur pour évoquer son histoire personnelle dont il ne lâche des éléments que par bribes. Par ailleurs, pendant le tournage du Barrage contre le Pacifique, je savais qu’il serait forcément très pris. J’avais donc décidé de ne pas le solliciter sur ce terrain personnel. Je comptais pour cela sur ses amis, cette troupe avec qui il travaille depuis vingt ans. Quels que soient les films, ils sont là, capables de permuter, de changer d’emploi en fonction des besoins. Pour faire apparaître l’existence de cette troupe d’amis, il fallait qu’on les voie au travail, qu’on perçoive les liens intimes qui les unissent mais je voulais avant tout leur regard sur Rithy et ses films. Je voulais qu’on entende aussi leur histoire. Par exemple Visal, l’ingénieur du son, cet homme merveilleux… Le père de Visal était un fonctionnaire qui travaillait sous les ordres du père de Rithy. Le Cambodge est un petit pays où les gens se connaissent… Même s’ils ne voulaient pas forcément révéler des choses trop intimes, les amis de la « troupe » nous éclairent donc beaucoup sur Rithy. Les proches de Rithy ne répondent pas aux questions d’un interviewer mais conversent entre eux avec beaucoup de naturel. Cela a sans doute demandé une certaine mise en scène ? Beaucoup de mise en scène ! Mais ils s’y sont prêtés très volontiers car ils savent bien ce que c’est que la mise en scène documentaire pour l’avoir pratiquée eux-mêmes avec Rithy. Nous leur avons suggéré d’aborder tel ou tel thème. Ils parlent tous un peu le français mais les conversations entre eux se déroulent naturellement en khmer. Dans ce film, cette famille d’amis apparaît du côté de la vie alors que Rithy Panh lui-même semble profondément marqué par les deuils, inconsolable… Oui, Rithy est un homme déchiré comme beaucoup de ses compatriotes meurtri par l’histoire, habité par le tragique. Les films lui permettent, plus ou moins, de vivre avec ce deuil, de faire alterner malgré une latence de la douleur avec des choses moins dures. Mais la douleur est permanente.. Il nous en parle non pas en se racontant lui-même mais à travers l’itinéraire de ses films, particulièrement de S 21. C’est à mes yeux l’aboutissement central de son travail, en tout cas, son œuvre maîtresse. Avec La terre des âmes errantes, un autre très grand film à mon sens nettement sous-estimé. Mais pour moi, c’est S 21 qui inscrit Rithy Panh dans l’histoire du cinéma. Parce qu’il filme les bourreaux à partir d’un long travail commun de mise en scène de mise en situation pour lever le déni. C’est une démarche que seul le cinéma dans sa dimension documentaire peut révéler. On n’avait jamais vu cela auparavant, les corps, les voix des bourreaux réinterpréter leurs gestes assassins et cela constitue véritablement un apport du cinéma pour comprendre l’inhumanité et le tragique de l’Histoire. Rithy Panh revient dans votre film sur son long travail avec les anciens bourreaux, un travail qui a duré trois ans. La première année, raconte-t-il, il n’a obtenu que des mensonges… Vous êtes, Jean-Marie Barbe, non seulement réalisateur mais aussi formateur. Y a-t-il dans le cinéma de Rithy Panh quelque chose qui nourrit votre travail de formateur ? S 21 est à mes yeux une leçon de cinéma. On en revient toujours à cette base : un plan c’est de la pensée, un plan, c’est de la morale. En tournant mon film, je pensais sans arrêt aux étudiants de Saint-Louis du Sénégal ou de Lussas. Le Sans doute le moment le plus important est ce que dit Rithy Panh sur la séquence avec le tortionnaire rejouant ses gestes dans la salle qui servait de cellule. La caméra s’est arrêtée au seuil. Si la caméra était entrée dans la salle pour accompagner le geôlier, explique-t-il, on aurait marché sur des cadavres, on se serait rendu complice. Pour moi c’est l’exemple extrême, emblématique, de ce qu’est l’éthique du cinéma documentaire… Rithy Panh me dit « Si j’avais fait ce plan-là, je n’aurais plus jamais fait de cinéma ». En dix minutes, il donne une leçon très forte qui doit marquer les esprits des apprentis réalisateurs. Un plan est vraiment une affaire de morale . C’est une leçon de vie et de cinéma. Le reste de mon film n’est là que pour amener cette fin et si je n’avais dû retenir que dix minutes, c’est ce moment que j’aurais conservé. Oui, c’est une leçon de vie et de cinéma. Le travail de Rithy Panh a-t-il eu un effet direct au Cambodge ? Ses films ne sont pas beaucoup montrés au Cambodge et ne sont connus que d’une minorité. En ce qui concerne S 21, cet étouffement s’explique évidemment par des raisons politiques : les dirigeants, qui sont tous très liés aux Khmers rouges, ont freiné des quatre fers pour empêcher que les responsables soient jugés. Ils avaient tout intérêt à ce que le génocide reste un sujet tabou. ou amnésique. Sans doute le film S 21 a-t-il eu plus d’impact en dehors du Cambodge et je pense qu’il a favorisé la création d’une juridiction internationale et la tenue de du procès. des dirigeants Khmers Rouges. Propos recueillis en août 2009. Images de la culture n°24 |