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La véritable histoire du bus 402, d’André Van Inn
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Le 402 a mauvaise réputation : il traverse les cités les plus mal famées de la banlieue sud de Paris, Evry, Corbeil en passant par les Pyramides de Grigny. Le parti pris de Van In sur ce sujet rebattu est aux antipodes de celui adopté par la plupart des reportages (comme le récent et très discutable opus réalisé par Marie-Monique Robin pour « Envoyé spécial »). Car ce beau documentaire est d’abord un acte de militant, contre la peur, la stigmatisation des jeunes, le désespoir et le tout-sécuritaire.

Le cinéaste s’installe à l’arrêt Jules Vallès, au cœur de ce quartier des Pyramides. Un fleuron de l’architecture des années 70 avec ses larges dalles conçues pour des enfants libres et des adultes confiants dans l’avenir. Personne ne songeait à l’époque que la peur s’y installerait. Fiers de leur réalisation, beaucoup d’architectes choisirent même d’y habiter. Mais dix ans plus tard, l’utopie des villes nouvelles ne fait plus recette et les familles aisées ou semi-aisées désertent le navire. Elles sont remplacées par des toujours plus pauvres, plus exclues du marché du travail et de la citoyenneté. La ville nouvelle devient un nouveau quartier d’exil et de relégation, peuplé d’une jeunesse déracinée gorgée de mépris.

Le film part à la rencontre de ceux qui croient encore au dialogue, à la prévention, à la responsabilité : de simples citoyens qui s’efforcent de comprendre et de calmer le jeu. De belles rencontres ! De beaux portraits ! Comme cette dame de 74 ans qui raconte une histoire simple et édifiante. Un ballon choit sur le balcon de son voisin, au premier étage. Celui-ci, ivrogne notoire – « ça le regarde », précise-t-elle, tolérante – refuse de le renvoyer. Des gamins jettent des cailloux dans ses carreaux. Pour une vitre brisée, les CRS accourent armés jusqu’aux dents et demeurent sur place jusque tard dans la nuit. La mamie a beau être « une ex-femme de flic » comme elle se présente elle-même, elle n’aime pas sortir de chez elle quand les CRS sont là, suant eux aussi la peur.

La société de transports publics, la TICE, ne compte pas (ou plus) sur la répression pour rétablir l’ordre. Elle préfère s’appuyer sur les associations qui travaillent avec les jeunes. Surtout, elle recrute et forme des agents de médiation issus du quartier, des « grands frères » un poil plus âgés que les fauteurs de troubles les plus redoutés, les 10-15 ans. De longues séquences du film nous font assister à leur entraînement à base de jeux de rôles : l’un joue le client poison, l’autre le gentil médiateur. Objectif : ne pas répondre à l’agressivité, se blinder contre les insultes. Le secret, certains arrivent à le formuler : c’est de reconnaître dans chaque petit voyou qui sème le pire pour récolter la tempête, un autre soi-même qui n’aurait pas encore trouvé les mots pour dire ses sentiments. C’est ce que dit magnifiquement l’un de ces « repentis » : « Quand j’ai eu envie d’arrêter de faire des conneries ? Le jour où j’ai vu un couple qui se tenait par la main et s’embrassait. J’ai eu envie de vivre ça, moi aussi. Au lieu de la bande où tu as la honte si tu es amoureux et que tu tiens une fille par la main. »

Ce film d’espoir se déroule avec une certaine lenteur car il faut du temps pour vaincre la peur et faire repousser le lien social. Il apprivoise la durée pendant les longs trajets nocturnes ou diurnes de l’autobus le long de chaussées désertes. Le chauffeur du 402 a la patience du jardinier. Le cinéaste aussi.

Ceux qui ont admiré le précédent film d’André Van In, « La commission de la vérité » (prix des bibliothèques du festival du film du réel 2000), retrouveront dans « La véritable histoire du bus 402 » une inspiration comparable. De film en film, le cinéaste s’attache à réparer des sociétés malades de la violence. Sa méthode : approcher avec sympathie les quidams qui ont le courage de s’atteler au travail le plus ingrat et le plus nécessaire, celui de faire la paix.

Anne Brunswic
Article paru dans Images documentaires



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