Anne BRUNSWIC

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Critiques littéraires dans la blogosphère

Sur Espritblog, un entretien audio avec Fabrice Gontier, journaliste et formateur de journalistes au CFPJ.

Sur routard.com, un article signé Michel Doussot :

Anne Brunswic fut communiste, comme tant d’autres Français durant des décennies. Autant dire que son voyage en Carélie, l’une des zones du territoire russe transformée en goulag durant l’ère stalinienne, a quelque chose de douloureux, même si l’auteure a quitté depuis longtemps le Parti. Avançant difficilement à travers la neige et les difficultés bureaucratiques - héritées de l’ancien régime -, elle s’est aventurée dans les parages du Belomorkanal.

Son objectif était d’aller à la rencontre d’acteurs, de témoins ou de descendants de ces derniers, afin de rassembler des informations sur la période durant laquelle le canal a été percé entre les mers Blanche et Baltique, principalement par des travailleurs forcés. Aux échos de la mémoire qu’elle a pu glaner, elle ajoute des indications purement historiques. La réussite de cet ouvrage se trouve dans la façon qu’a Anne Brunswic de relater son voyage, surtout ces moments passés en compagnie de Russes dont elle a croisé le chemin »“ elle parle leur langue.

C’était déjà ce qui faisait une grande part de la valeur de son précédent livre, Sibérie - Un voyage au pays des femmes (publié aussi chez Actes Sud). Elle n’a pas son pareil pour décrire en quelques lignes le logement, la tenue vestimentaire ou la façon de s’exprimer de ses interlocuteurs, toutes choses qui en disent aussi long sur les personnes qui lui font face que leur histoire. Le regard est aigu et les récits restitués très prenants.

On ne s’étonnera pas d’apprendre que ces derniers sont souvent déchirants : familles brisées par le régime policier, déplacements forcés »“ la Carélie fut une terre finlandaise -, misère matérielle »¦ Les actuels habitants de la région où coulent toujours les eaux du Belomorkanal continuent de vivre avec le poids d’un passé très lourd. Anne Brunswic nous le fait ressentir sans pathos, mais avec ce qu’il faut de sensibilité.

Michel Doussot
Mise en ligne le 15 octobre 2009

Sur le site Lecture-Ecriture, une critique signée par Dominique.

Dis-moi Gorki...

Enquête historique et récit de voyage, ce livre écrit par une journaliste, qui fut communiste dans ses jeunes années, nous invite à travers documents et témoignages, à découvrir l’histoire du Belomorkanal.

Quelques indices ont été le point de départ de sa recherche. Le premier est le paquet de cigarettes qui portent le nom de Belomorkanal qui « est aux russes ce qu’est la Gauloise aux français. »

Son deuxième indice sera un livre que lui montre une amie russe, livre de propagande préfacé par Maxime Gorki qui « sans en avoir le titre, tient le rôle de Ministre de la Culture » et qui chante les louanges d’une réalisation soviétique le Belomorkanal, véritable chef-d’oeuvre initié par Staline. Ironie de l’histoire, une partie des auteurs de ce livre seront eux mêmes victimes des purges staliniennes quelques années plus tard.

Inauguré en 1933, ce canal qui comporte 19 écluses répondait à des besoins stratégiques et militaires, il relie le lac Onega à la mer Blanche et permet à la navigation d’éviter le contournement de la Scandinavie.

Maxime Gorki croyait, ou faisait semblant de croire, à la rééducation nécessaire des prisonniers, la rédemption par le travail. Cet avis est partagé par Louis Aragon qui « applaudit sans réserve la science prodigieuse de la rééducation de l’homme »
La réalité sera très noire, ce canal déjà rêvé par Pierre le Grand, a été réalisé en 18 mois, ce sont 150.000 prisonniers qui vont travailler sur ce chantier pharaonique.
La création du chantier se confond avec l’organisation du Goulag, le nombre de prisonniers variera en fonction des besoins le NKVD n’hésitant pas à arrêter des personnes sans motif aucun, mais possédant les compétences techniques nécessaires : menuisier, électricien. Le Goulag devient « le premier entrepreneur du pays ».

Les prisonniers koulaks ou prisonniers politiques vont mourir d’accidents, de famine, d’épuisement, de froid. Au moins 20.000 d’entre eux trouveront la mort sur Belomorkanal en particulier au début des travaux où rien n’était prêt pour les accueillir et à la fin où le travail s’accélérait pour tenir les délais imposés par Staline « Cet été là , des cadavres remontaient à la surface, ceux des cimetières engloutis sous les lacs du barrage, ceux qu’on avait pas eu le temps d’enterrer pendant le chantier. »

Anne Brunswic a sillonné la Carélie durant l’hiver 2007 car dit-elle dans une interview « pour comprendre la vérité de la Russie il faut la visiter l’hiver, la civilisation russe s’est construite pour résister à l’hiver ».

Ce qui rend son livre passionnant c’est qu’au delà de son enquête sur le canal, elle a choisi de séjourner chez l’habitant, elle a sillonné les villages qui bordent le canal, elle a recueilli un grand nombre de témoignages sur la période du chantier mais aussi sur les années terribles de 1937/1938.
Ce sont souvent des femmes, bibliothécaires, médecins, institutrices, qui témoignent de l’histoire de cette région pendant la guerre, sous le stalinisme, mais aussi aujourd’hui. De nombreuses familles ont eu un membre déporté, fusillé, ou tout simplement disparu.

Elle rend hommage à deux hommes Yvan Tchoukhine et Youri Dimitriev créateurs de l’association Mémorial en Carélie, Tchoukhine auteur d’un « J’accuse » mettant ouvertement en cause Staline, car les considérations ne « peuvent justifier le principe du travail forcé, qui contredit radicalement les idéaux socialistes » affirme t-il dans son brûlot et le même Tchoukhine exigeant que « l’affaire soit portée devant le tribunal de l’histoire » . Cet appel lancé dans les années 90 est resté lettre morte et aujourd’hui Dimitriev poursuit seul un travail d’investigation sur les charniers de Carélie sans recevoir aucune aide.

J’ai aimé le mélange entre histoire avec un grand H et témoignages individuels que propose Anne Brunswic. Quelques pages de photos du chantier du canal terminent le livre.
On peut retrouver les photos du chantier et des prisonniers, les affiches de propagande sur le site de l’auteur .

critique par Dominique

Sur le blog BOOJUM, l’animal littéraire, un excellent article signé André Donte :

Anne Brunswic partage son temps entre des voyages, l’enseignement et l’écriture. Au cours de l’hiver 2006-2007, elle entreprend un voyage le long du canal reliant la mer Blanche à la Baltique (le Belomorkanal), ouvrage titanesque réalisé par des prisonniers, entre 1931 et 1933, à l’instigation mégalomaniaque de Staline. Du canal lui-même, Anne Brunswic ne verra pas grand-chose, la paranoïa soviétique n’ayant pas quitté la Russie actuelle. Interdiction du canal aux étrangers, donc, alors même que c’est un canal « vieux de soixante-dix ans, que les satellites d’observation peuvent scruter à la loupe et dont l’intérêt stratégique est devenu négligeable ». Mais la contrainte n’est pas si grande, pour une auteur au fond guère soucieuse de prouesses techniques et qui laisse bien volontiers à d’autres le soin de trancher si oui ou non le canal a présenté, présente ou présentera un jour un intérêt économique quelconque : je ne suis pas venue pour polémiquer », dit-elle. De fait, les considérations générales, abstraites ou transcendantales (l’exaltation de la spiritualité orthodoxe, par exemple) ne sont pas les siennes, au cours de ce voyage qui s’avère un périple tout autant géographique que temporel.

Anne Brunswic part d’un constat fort simple : d’un historien à l’autre, le nombre des prisonniers décimés par la construction du Belomorkanal peut être multiplié par dix. Et d’en tirer une analyse particulièrement judicieuse : « s’agissant de l’extermination des Juifs, personne ne se permettrait d’enlever un zéro (négationnisme), ni d’en ajouter un (délire). Avec les crimes staliniens, on peut, signe, à mon sens, que les mythes sont encore puissants ». Tel semble être le point de départ moral et intellectuel de ce voyage, l’exigence qui lui donne forme : dépeindre une situation concrète dans toute sa complexité pour, derrière le mythe, toucher à la réalité humaine, passée comme présente, et mesurer le poids que le passé fait encore peser sur le présent.

Anne Brunswic va donc longer le canal, visiter des villes et des villages construits, développés, puis délaissés au gré des volontés politiques ou économiques. A commencer par Medvejegorsk, née Medveja Gora en 1916, avec l’ouverture d’une nouvelle ligne ferroviaire, pour se développer en Medvejegorsk donc, et se voir dotée d’un palace en 1932, dans la perspective d’une visite de Staline. Puis ce seront Segueja, Belomorsk, Kem, Soumpossad »¦ Autant de localités obscures dans leur grande majorité (en tout cas ignorées de la plupart d’entre nous), aux histoires chaotiques.

Ce sont ces histoires que narrent les personnes rencontrées par Anne Brunswic au fil de ses déambulations, parce qu’elles sont inscrites dans leurs destinées. Veuves qui doivent élever leurs enfants malgré les privations et les persécutions. Carrières avortées pour cause d’appartenance à telle ou telle ethnie, à telle famille politiquement suspecte, ou parce qu’avec la chute de l’Union soviétique, il n’y a plus de grands chantiers d’état. Fidélité au communisme, parce que des ennemis du peuple, il y en a toujours, « ceux qui mènent des guerres ruineuses, suppriment la gratuité des médicaments, affament les retraités ou ferment les services publics ».

La narration est sobre, sans effet de pathétique. Et quand des accusations sont portées, elles conservent cette tonalité sèche et brutale qui caractérise les discours dûment informés et alimentés par une réflexion obstinée sur les problèmes posés. Bref, des histoires individuelles qui demandent qu’on prenne l’Histoire au sérieux : « Je n’aime pas la légèreté avec laquelle nous jugeons les crimes passés, déclare Anne Brunswic, cette même légèreté qui permet l’aveuglement sur ceux d’aujourd’hui ».

Conformément à ce credo, Anne Brunswic ne juge pas, ce qui reviendrait à se contredire, mais se place obstinément du côté des victimes des crimes passés, comme de la situation présente, pour que passé et présent ne paraissent jamais plus simples qu’ils ne le sont, pour ne jamais sombrer dans le folklorique, qui est au fond un avatar du mythe. Un beau livre, donc, dont on ne regrettera que la brièveté.

André Donte

Sur le blog à sauts et à gambades :

" Ce qui rend son livre passionnant c’est qu’au delà de son enquête sur le canal, elle a choisi de séjourner chez l’habitant, elle a sillonné les villages qui bordent le canal, elle a recueilli un grand nombre de témoignages sur la période du chantier mais aussi sur les années terribles de 1937/1938.
Ce sont souvent des femmes, bibliothécaires, médecins, institutrices, qui témoignent de l’histoire de cette région pendant la guerre, sous le stalinisme, mais aussi aujourd’hui. De nombreuses familles ont eu un membre déporté, fusillé, ou tout simplement disparu.

Elle rend hommage à deux hommes Yvan Tchoukhine et Youri Dimitriev créateurs de l’association Mémorial en Carélie, Tchoukhine auteur d’un « j’accuse » mettant ouvertement en cause Staline, car aucunes considérations ne « peuvent justifier le principe du travail forcé, qui contredit radicalement les idéaux socialistes » affirme t-il dans son brûlot et le même Tchoukhine exigeant que « l’affaire soit portée devant le tribunal de l’histoire ». Cet appel lancé dans les années 90 est resté lettre morte et aujourd’hui Dimitriev poursuit seul un travail d’investigation sur les charniers de Carélie sans recevoir aucune aide.

J’ai aimé le mélange entre histoire avec un grand H et témoignages individuels que propose Anne Brunswic. Quelques pages de photos du chantier du canal terminent le livre."