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Enquête sur le Belomorkanal, un article de François Eychart
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Enquête sur le Belomorkanal

Le canal de la mer Blanche, dont la réalisation
a été entreprise en 1931-1932,
à l’initiative de Staline, fait partie des
grands travaux dont le régime soviétique se
glorifia car ils marquaient l’entrée de l’URSS
parmi les nations capables de prouesses technologiques
et montraient la vitalité du socialisme
soviétique. Il fit l’objet d’une campagne
de grande envergure à laquelle participèrent
une trentaine d’écrivains qui, sous l’égide de
Gorki, lui consacrèrent un ouvrage, le Canal
Staline, mer Blanche-mer Baltique, histoire de
la construction. Il s’agissait de célébrer l’exploit
que constituait cette réalisation et surtout de
faire admettre que le régime soviétique avait, en
même temps, réussi la transformation morale
de nombreux détenus affectés à ce chantier.
Les auteurs y exposaient le cas de voleurs, de
prévaricateurs, de prostituées, qui, enflammés
par l’oeuvre à laquelle ils participaient, avaient
changé de personnalité pour devenir désireux
de se rendre utiles à la société. Cet aspect fut
immédiatement mis en doute et la polémique
commença en s’attachant d’abord à dénoncer
le caractère génocidaire de l’entreprise. Dans
l’Archipel du Goulag, Soljenitsyne revient sur
cet épisode, chiffrant les victimes à trois cent
mille.

Anne Brunswic, qui connaît bien la Russie,
s’attache aux détails de cette affaire. Elle mène
une enquête dans les terres froides de la Carélie où
est implanté le canal, pour autant qu’on puisse le
faire dans la Russie de Poutine. Le canal apparaît
vite comme un condensé de l’histoire soviétique
et de la façon dont elle se survit dans l’actuelle
Russie. Certains chiffres ayant été avancés avec
légèreté, Anne Brunswic rétablit d’abord la vérité,
suivant en cela les conclusions des historiens :
125 000 personnes travaillèrent sur ce chantier et
25 000 environ y moururent. Elle rappelle que s’il
s’agissait de l’Holocauste, un zéro de moins serait
du négationnisme, un de plus, un chiffre insupportable,
et elle s’interroge aussi sur le nombre de
victimes de chantiers similaires : Panama, Suez,
etc. Mais surtout, son enquête lui fait rencontrer
les descendants de ceux qui ont creusé le canal. On
touche là ce qui reste de l’histoire réelle, quinze ans
après la fin de l’URSS. Pour le lecteur, la première
impression est terrible : à la paranoïa stalinienne
qui fait déporter massivement des individus déclarés
nuisibles, qui fait fusiller des centaines de
milliers de communistes, qui purge les organes
de répression par couches successives, succèdent
tous les malheurs que la guerre apportera. La
Finlande, alliée de l’Allemagne nazie, occupera la
Carélie. Il en résultera, pour ceux qui ont vécu cette
occupation, une stigmatisation supplémentaire,
une vie plus dure. Les détails que rapporte Anne
Brunswic sonnent vrais. Souvent, et c’est là un
constat qui appelle réflexion, certains de ceux qui
exposent comment ils ont été longtemps persécutés
continuent à défendre la mémoire de Staline
qui, dans la déglingue sociale et idéologique que
connaît la Russie, reconquiert une image de grand
patriote. Le régime actuel n’en prend nullement
ombrage, au contraire.

Il reste les hommes et les femmes qui nous
sont présentés. Ils font face chaque jour à de
lourdes difficultés qui vont du manque d’eau
courante à la vétusté de tout, pendant que
quelques margoulins s’enrichissent. On se
demande comment ils font pour le supporter
et ne pas partir sur les routes. Certains sont
devenus croyants, d’autres restent communistes,
d’autres encore se déclarent communistes
et croyants tout à la fois. Quel serait
le résultat de leur réflexion s’ils désiraient
conceptualiser leur expérience des cinquante
dernières années ? Mais voilà, ils vivent dans
les faits plus que dans les systèmes, et cela
leur est une grande aide qui permet à leur
générosité (qu’on dit russe) et à leur intelligence
de l’emporter sur toutes les entraves.
Anne Brunswic n’aime pas la légèreté avec
laquelle on juge trop souvent les crimes passés,
parce que tout laxisme en ce domaine est
le terrain qui en prépare d’autres. De ce point
de vue, cette histoire du Belomorkanal est à
méditer. On y passe de l’histoire d’un pays à
celle des hommes. En espérant qu’ils finiront
par prendre en main celle de leur pays.

François Eychart

Les Letrres Françaises décembre 2009, supplément à L’Humanité du 5 décembre 2009.

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Medvejegorsk, le port sur le lac Onega


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