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Photographie
Exposition urbaine "L’Envers de Pantin" de Frédéric Nauczyciel
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En marge de l’exposition urbaine L’ENVERS DE PANTIN de Frédéric Nauczyciel. Du 7 novembre 2009au 6 janvier 2010 sur les murs de la ville de Pantin, 100 photos affichées en 100 lieux.

Fictions d’une ville

par Anne Brunswic

Un photographe reçoit une commande C’est agréable, pour un artiste, de recevoir une commande, flatteur – on vous fait confiance – et rassurant – il y a un budget, une date de rendu, un plan de diffusion. Encore mieux quand la commande est exprimée en termes ouverts. Début août, Frédéric Nauczyciel reçoit donc une commande. « L’envers de Pantin » : une centaine de photos réalisées dans tout Pantin seront tirées sur papier d’affiche et collées début novembre sur les murs de la ville. Le délai est très court pour un projet aussi ambitieux – pensez 100 photos ! Dont certaines seront agrandies en 4 par 3 ! Autrement dit 12 m2.

Ne pas céder à la précipitation, se dit le photographe. Ne pas travailler à l’économie sous prétexte qu’on est en Seine-Saint-Denis. Au contraire, prendre son temps et se donner les meilleurs moyens techniques. Chaque image sera composée, mise en scène, éclairée comme un tableau vivant ou une scène de film, le maquillage en moins. Le photographe n’est pas un adepte de l’instantané, on l’aura compris. Encore moins de la photo volée. Ce qu’il aime, c’est rencontrer des gens, les mettre en scène et créer ses lumières. Autant transfigurer le réel puisque de toutes manières, le réel, plus personne n’y croit.

Il organise un remue-méninges avec les ami(e)s, ceux et celles qui habitent Pantin ou le fréquentent assidûment. L’envers de Pantin ! Et pourquoi pas Pantin en verlan tant qu’on y est ? Une chose est sûre, on ne risque pas de tomber du côté de la réclame, « Regardez-nous comme on est heureux de vivre à Pantin ! » Va-t-on révéler la face cachée de la ville ? Ses dessous pas très propres ? Ses entrailles ? Le polar sauce banlieue a ses charmes, mais il y a sans doute mieux à faire.

Après moult cafés et non moins de cigarettes, l’idée s’impose d’une vision de l’intérieur. Que voit-on, non de la rue mais de chez soi ? Ce sera Pantin vu par ses habitants eux-mêmes, dans l’intimité des familles, dans l’entre soi des copains de bistrot ou des collègues de travail, Pantin tel qu’il se voit, tel qu’il se vit, tel qu’il s’imagine. Le projet qui se dessine ne peut se réaliser sans la coopération des habitants. Car on leur demandera non seulement de composer une image d’eux-mêmes dans la ville et de poser sous les sunlights, mais aussi de fournir l’électricité. Et en échange ? Juste le plaisir de contribuer bénévolement à une aventure artistique. Il va falloir se montrer convaincant.

Préparatifs
Première étape pantinoise chez le fournisseur des photographes professionnels. Prendre les flashes, les diffuseurs (vous savez ces parapluies argentés qu’on plante sur le pied du flash), les ampoules, la télécommande, plus la sacoche pour transporter tout ça. A la pesée : 19 kilos. Et encore, c’est sans compter les appareils photos et la rallonge électrique : ajouter sept kilos bon poids. Dire qu’avec ce léger paquetage, il va falloir braver les ascenseurs en panne des Courtillières, les escaliers de la rue du Bel Air et les trottoirs étroits de la rue du Pré-Saint-Gervais ! Le fournisseur, outre qu’il a consenti une généreuse remise, attire la sympathie pour un autre motif. Ses locaux commerciaux sont situés au 3e étage d’un grand bâtiment industriel doté d’une magnifique rampe d’accès extérieure pour les voitures et les camions. Comme à New York ! Là haut, on a une vue panoramique au sud sur la cité des Sciences, la gare de Pantin, les Grands Moulins, et à l’ouest sur le quartier de boutiques, d’hôtels meublés et d’ateliers qui prolonge la porte de la Villette. Vu du ciel, Pantin a du style.

Un plan de campagne En compagnie de son petit Etat-major, Frédéric se penche sur le plan fourni par la mairie. Comment procéder ? Par où commencer ? Au premier abord, on peut douter que Pantin soit une ville, en tout cas comme on les conçoit en France, une ville qui aurait grossi autour de son église, de sa mairie, de sa place du marché et de sa poste. La mairie est ici, l’église là-bas, les bureaux de poste et les marchés jouent aux quatre coins. Partout des frontières, des enclaves. Y a-t-il un Pantin ou plusieurs ? Un conglomérat mal fagoté de quartiers et d’îlots reliés par le pointillé des autobus et des métros ? Les lignes 5 et 7 se croisent une fois à Stalingrad et derechef à la gare de l’Est. Elle rappellent l’histoire d’une banlieue qui s’est développée comme l’arrière-cour du 19e arrondissement, lui-même arrière-cour du 10e. Tout ce qui traverse Pantin – les nationales, les voies ferrées, le canal – converge vers Paris et coupe les Pantinois les uns des autres. Seuls les autobus suivent des lignes transversales. Voilà peut-être une piste pour commencer un repérage. On pourrait embarquer à bord du 170 comme François Maspero l’a fait naguère à bord de la ligne B du RER. Les Passagers du Roissy Express, vous vous souvenez ?

Premiers repérages Frédéric s’en remet à l’inspiration. Elle le pousse d’abord à explorer les alentours de la rue des Pommiers et la Cité des Auteurs. Le contact s’établit facilement, les gens ouvrent volontiers leur porte. Même chose autour de la gare. Au rez-de-chaussée vit une dame qui travaille de nuit aux chemins de fer. On heurte ses persiennes à dix heures du matin. Elle entrebaille la fenêtre, la mine pas réveillée, en chemise de nuit. « C’est pourquoi ? – Est-ce qu’on peut brancher une rallonge chez vous ? » Elle s’est couchée ce matin à six heures. Elle aurait toutes les raisons de dire non et même de râler. Elle accepte. Dix minutes plus tard, on lui demande si elle ne voudrait pas, elle aussi, poser pour le photographe. – Vous me laissez cinq minutes pour me changer ? Il y a des gens comme ça, bien plus qu’on ne pense.

D’autres disent non, c’est bien leur droit. Ils refusent par habitude, par principe, par méfiance, par excès de précaution, parce qu’il faut demander au chef, parce que tout ce qui n’est pas explicitement autorisé est sûrement interdit. Les grandes entreprises sont sujettes à la paranoïa, persuadées que toute image qu’elles ne contrôlent pas va les trahir. Les quidams au contraire font confiance. Les prêtres, ça dépend. Ici un pasteur refuse, là un l’imam accepte. Comprend qui peut.

Premières rencontres Sur le chantier des Grands Moulins, beaucoup d’ouvriers s’affairent encore, des électriciens, des miroitiers, des peintres, des menuisiers. Le matériel imposant que le photographe déballe sous leurs yeux force le respect : de la belle ouvrage, se disent-ils, et ils lui accordent généreusement un quart d’heure. Pour eux, c’est déjà beaucoup. D’autres ont tout leur temps, trop, à s’y noyer. Il y en a qui attendent que jeunesse se passe, plantés au coin d’une rue, d’un stade ou d’un supermarché. Il y en a qui attendent que ça morde, et qui, en lieu de gardon ou de gougeon, harponnent un ballon. Il y en a qui attendent le client ou qui ne l’attendent plus. Il y en a qui depuis leur fenêtre suivent les enterrements au cimetière d’en face, surtout l’hiver, quand les feuillages ne bouchent pas la vue. Celui-ci est au chômage, celle-là sort d’un internement psychiatrique, ceux-là tapent la belote au comptoir d’un café désert.

Itinéraires Prenez au hasard une rue de Pantin. Sur cent mètres, vous trouverez un loft pour bohème branchée, un atelier de confection éventuellement clandestin, un lieu de culte, un studio d’enregistrement de reggae, un marchand de sommeil, un atelier de mécanique, un pizzaiolo malien, un épicier srilankais, un cours de samba, un coiffeur afro et deux boutiques de téléphonie intercontinentale. Vous croiserez des mères de famille chargées de paquets, des ouvriers à la pause cigarette, des marginaux, des gens qui rêvent d’un titre de séjour en règle et d’autres (les mêmes parfois) qui rêvent d’une BMW neuve. Vous entendrez parler français, arabe, kabyle et toutes les variétés de rebeu, roumain, serbe, walof, népalais, ethiopien, chinois, turc… Les cinq sens seront de la fête. Plus rapide et moins cher que les agences de voyage, Pantin.

Les cols blancs arrivent Mais voilà qu’une limousine noire aux vitres fumées fait crisser ses pneus devant les Grands Moulins. Quatre jeunes cadres pimpants en sortent : admirez la souplesse du franchissement de la portière, admirez les souliers cirés au milieu du chantier. Des Blancs en costumes noirs sous l’œil curieux de Noirs en salopettes blanches. Bravant les usages les mieux établis, quelques Parisiens intrépides ont donc fini par franchir le périphérique. C’était fatal, disent les fatalistes. Il fallait bien, après trente ans d’usines en berne… Le vent qui souffle de Paris s’engouffre par le canal et fait grimper le prix du mètre carré. Les jours des dernières usines sont, dit-on, comptés. Adieu le filet de fumée blanche au-dessus de la blanchisserie, adieu le ronron des bétonnières. Bonjour les petits pavés de granit, les rues piétonnières et les boutiques de surgelés. Pantin s’embourgeoise à vue d’oeil. Jusqu’aux Courtillières où les loyers s’envolent à mesure que la rénovation progresse.

Territoires du roman Les gens racontent des histoires qu’on n’oserait pas inventer. Il y a cet homme valide qui après avoir épousé une femme polyhandicapée a peu à peu a perdu l’usage de ses membres inférieurs. Leur amour dure toujours et c’est ensemble qu’ils se battent pour la cause des handicapés. Il y a cette femme blanche tenant sur ses genoux sa petite-fille noire, tu es sûre que tu es bien ma mamie demande l’enfant. Il y a, dans les jardins ouvriers des Courtillières, un authentique prolétaire pantinois qui a eu sa photo en couleurs sur une demi-page dans Elle. Tenez, voilà, dit-il en sortant de sa cabane à outils un exemplaire maculé de chiures de mouches. Il y a un quatuor de clochards russes, tous éthyliques au dernier degré, qui dorment sur des cartons. L’un d’eux, titulaire de deux licences, enseignait naguère dans une université sibérienne. Non loin de là, dans une maison du bon dieu, de braves gens qui ne parlent pas un mot de russe les nourrissent, tâchent de les soigner et de réchauffer la flamme de l’espoir… Un jour, nous prendrons le temps d’écrire ces récits.

Pantin, octobre 2009



Copyright Frédéric Nauczyciel
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