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Russie, fragment 5
Un dimanche au lac Ladoga.
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Un dimanche au lac Ladoga

Le nom de ce lac, Ladoga, t’était familier quoique obscur. Il avait été le lieu d’une terrible bataille mais était-ce au temps des chevaliers teutoniques ou des nazis assiégeant Léningrad ?

Ce lac, aujourd’hui, les habitants de Saint-Pétersbourg y vont en week-end. En juin 1994, tu y es allé avec Catherine et Jean-Jean, deux amis français qui découvraient la Russie. Micha vous y avait invités. Lui, c’est un jeune officier d’artillerie, professeur à la prestigieuse école des Cadets. Bavard, avenant, sportif. Malgré son grade élevé, il doit se contenter d’un logement minuscule à Saint-Pétersbourg. L’armée russe n’arrive pas à reloger tous les militaires qui tenaient garnison naguère en RDA et dans les pays baltes.

Un dimanche matin, Micha vous conduit au bord du lac. Avec sa femme et sa fille. La petite étonne par sa grâce, sa délicatesse. La mère par sa beauté retenue. Dans la voiture, vous êtes donc six, et le trajet, 60 kilomètres, dure deux bonnes heures. Il faut quitter la ville par des routes encombrées et barrées de chantiers. Micha s’arrête pour quelques emplettes. À une échoppe en tôle, de la vodka. Quelques kilomètres plus loin, chez un particulier qui a ouvert boutique dans le coffre de sa voiture, de la viande à griller. Un commerce douteux, sans doute, mais, à la boucherie du centre-ville, Micha dit n’avoir jamais rien trouvé de bon.

Le route est cahoteuse, défoncée de profondes ornières creusées par sept mois de gel hivernal. Des passages à niveau, des véhicules accidentés ralentissent le voyage. Une belle journée.

Enfin les bords du lac : une plage de sable où traînent quelques troncs de bouleaux, une route à peu près goudronnée, des bicoques de bois étrangement rafistolées. Des myriades de moustiques attaquent de toutes parts. Tu commences à regretter : le lac Ladoga n’aurait-il pas gagné à demeurer un mythe ?

L’eau est fraîche. Seul Jean-Jean se risque à la baignade. On ne s’attarde pas sur cette plage où les moustiques règnent en maîtres.

Micha vous conduit en quelques minutes à sa datcha. C’est une maison de bois posée de plain pied dans un carré de prairie. Peinte en vert. Avec juste un peu de dentelle découpée dans l’auvent et l’encadrement des fenêtres. Une seule petite pièce et un balcon. Des bouleaux, une prairie, une isba. À quelques heures de route des tours de béton de Léningrad-Pétersbourg, Micha a retrouvé sa Russie. Il faut le voir ramasser des branchages morts, tailler, fendre, s’activer autour du feu.

D’un appentis à demi écroulé, il sort un samovar. Une belle pièce de cuivre lourd. Rien à voir avec les objets du même nom qu’on voit sur toutes les tables de cuisine en ville, ces choses en fer blanc, d’où pendouille un fil électrique. Le samovar de Micha est un rescapé, presque une relique dans ce pays qui s’est acharné à effacer les traces de son passé.

Anne Brunswic



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